mercredi 30 mars 2011

Arc Bedous, intervenir en vallée d'Aspe

Je sors fraîchement d'un atelier de recherches et de création qui nous a conduit à travailler en vallée d'Aspe en étroite collaboration avec la mairie de Bedous. Par où commencer ? La semaine a été si riche en découvertes que vouloir faire un post exhaustif de ce qu'a pu être notre excursion et notre expérience partagée durant cette semaine prendrait des heures et ne serait, je pense, que parcellaire au final ; même avec toute la bonne volonté du monde de tout vouloir bien raconter.

Je suis devant mon clavier à me demander ce que je vais bien pouvoir écrire, ce que je vais choisir de raconter. Il suffit que je m'arrête trente secondes de pianoter pour que je repense, en accéléré, aux moments vécus en groupe avec Ghislain, Manu, Maylis, Neven, Anaïs, Marion, Sylvie, Delphine, Charlotte, Anne-Laure, Matthias, Xavier, Melaÿne et Carlôte, tout ce beau monde mené par l'énergie bienveillante et stimulante de Marie et Bertrand, et me répéter encore : " c'est passé si vite… ". Ou alors me bidonner tout seul devant mon écran, comme un imbécile heureux, en repensant aux bons instants de déconnade responsables de quelques dommages collatéraux aussi perchés qu'inoubliables. Et c'est à cette seconde que je me dis que je regrette un peu de n'avoir pu embarquer certaines personnes avec moi, tout aussi enjouées, joyeuses, motivées et méritantes que celles citées plus haut, pour que je puisse continuer de refaire le séjour avec elles ; après coup.

Je vais essayer de mener mon petit récit de façon pas trop inégale.

Samedi : prise de contact et prendre de la hauteur
Nous avons débuté notre premier jour par une petite randonnée qui a eu le mérite de nous mettre en jambe pour tout le restant de notre séjour en vallée d'Aspe. Notre destination a été la cabane de Casteruch, point de vue privilégié qui nous a permis de prendre de la hauteur par rapport à notre sujet d'étude qu'allait être la commune de Bedous et ses environs. Pour être un peu moins vague, la demande de ce village nous a été présentée comme ceci.

A l'entrée de Nord de Bedous (entrée qui nous relie à Pau) se trouve un rond-point. Sa mise en place est à mettre en relation avec la construction d'une déviation qui contourne le village, traversé jusqu'alors par la RN 134. Nous apprendrons plus tard, lors de ce chaleureux et intimidé accueil à la mairie de la commune, le soir, que cette voie de contournement a été faite pour dévier le passage des poids lourds. Si cela a représenté un avantage de poids pour les habitants de Bedous, ayant vu ainsi leur quotidien gagner en sérénité et tranquillité, cela n'a pas manqué d'avoir comme effet pervers de dévier aussi le trajet des automobilistes de passage traversant la vallée. C'est ce détournement de flux, potentiellement apte à animer l'activité économique, touristique et culturel de Bedous, capable de faire vivre son patrimoine, son histoire, ses richesses et celles de la vallée dans laquelle cette commune se situe, que les élus locaux aimeraient voir endigué.

Notre intervention va devoir chercher à réguler un peu ce flux et amener à faire reconsidérer l'itinéraire des visiteurs trop pressés de se rendre en Espagne par exemple. En tout cas l'objectif peut-être vu ainsi : donner une visibilité au bourg central de la vallée qu'est Bedous qui puisse susciter l'intérêt et la curiosité des voyageurs en transit dans la vallée d'Aspe.

Une particularité de la vallée d'Aspe
Voici quelques petites données géographiques récoltées lors de notre rendez-vous du lundi matin en compagnie de Régine Casaucau, directrice de l'office de tourisme et de Bernard Choy, accompagnateur de développement. La vallée, pays du Haut-Béarn, est constituée de 13 communes. Elle mesure 40 km de long sur 20 km de large et abrite 2 763 habitants. Elle se décompose en 3 zones qui sont la Basse-vallée (avec Escote, Sarrance et Lourdios-Ichére), le Vallon son cœur (comprenant deux pôles importants qui sont Accous et Bedous) et les communes latérales (où l'on trouve Aydius, Lescun entre autres…).

L'économie fromagère est celle qui structure toute la vallée. Les 112 estives qui la constitue concourent à produire 100 tonnes de fromages par an. Le pastoralisme représente à juste titre l'activité pilier de la vallée bien que d'autres éléments moteurs soient aussi très présents comme l'artisanat lié au travail du bois et un patrimoine lié à l'eau (qui lui permet d'accueillir une centrale hydro-électrique). Les supérettes, les commerces et les services de proximité importants (respectivement fromagerie, épicerie, boucherie, bureau de presse et pharmacie, médecins, école primaire de la communauté d'Aspe) sont quant à eux situés principalement dans la commune de Bedous. Et en plus de renfermer des architectures classées monuments historiques, c'est dans cette dernière qu'est implanté le point d'information stratégique pour toute personne de passage dans les environs qu'est l'office de tourisme de la vallée.

Je donne ces informations non pas pour faire la part belle à Bedous mais pour bien faire prendre conscience de son rôle pivot au sein de la communauté des communes d'Aspe et ainsi laisser entendre pourquoi sa demande semble justifiée.

***
Si la demande principale de Bedous a été celle formulée plus haut, les élus n'ont pas oubliés d'être entreprenant avec nous en ouvrant les possibilités d'interventions, ne les limitant pas au simple rond-point nord du Vallon. Des propositions d'intervention autres, ils n'en manquaient pas puisque il était tout aussi possible de proposer une signalétique dans Bedous - qui inviterait les voyageurs à la découverte de ses rues et son patrimoine - que d'intervenir sur les actuels panneaux d'entrées de village inefficaces dans leur tâche de donner envie aux gens de passage de venir parcourir la commune puis par la suite la vallée.

Sur la même longueur d'onde ?
A propos des rendez-vous avec la mairie qui ont eu lieu samedi et lundi je ne peux m'empêcher de faire quelques observations personnelles. J'ai été assez content de voir l'enthousiasme que nous avons pu susciter auprès des personnes qui nous ont fait part de leur problème. Elles étaient très spontanées avec nous bien que peut-être un peu intimidées et ont su montrer une ouverture d'esprit que j'ai trouvé assez inattendue je dois l'avouer. A moins que le problème dont ils nous ont fait part les dépassait peut-être un peu, ne sachant plus trop quoi faire pour le régler. Il s'en serait remis à nous, un peu en désespoir de cause, nous donnant quasi carte blanche et nous faisant pleinement confiance tout en ne sachant pas trop à quoi s'attendre. Une grande confiance teintée d'optimisme de leur part j'ai trouvé ; c'est tellement important et précieux… et rare de rencontrer des commanditaires comme ça.

Oui j'ai eu l'impression que notre venue semblait providentielle à leurs yeux, pensant peut-être que nous serions la panacée à leur problème. Et en supposant que cette intuition ne soit pas totalement fausse, je me demande pourquoi quelque part. Le champ de la création dite "artistique" serait-il à ce point important pour apporter une sorte de valeur ajoutée à la cause qu'il va pouvoir servir ? Dans ce cas si c'est perçu comme tel est-ce que c'est louable d'intervenir en connaissance de cause ? N'y a t-il pas quelque chose d'ordre de l'éthique qu'il serait bon de questionner de la part de / des intervenants ? L'intervention proposée doit-elle substituer ce qu'elle va servir ? Je pose ces questions car lors de notre premier rendez-vous, une dame m'a fait part d'une série de cartes postales (il y a quelque chose qui ne va pas dés le départ) montrant des peintures et des dessins présents sur les mûrs d'une petite ville d'Italie dont j'ai oublié le nom. Elle me les a confiées en m'expliquant que depuis qu'il y avait ces dessins sur les mûrs, les gens venaient visiter le village en question.

J'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui ne va pas quand j'entends ça, qui vient pointer du doigt le pouvoir prétendument séducteur des images ; ça devient délicat lorsque l'on cède à ce raccourci facile que je trouve teinté de résignation. Que l'on soit artiste, graphiste, producteur de signes en tous genres ou de n'importe quelle autre appellation, notre rôle je pense n'est pas de chercher à séduire, flatter le regard de façon ostentatoire (ce qui restera à prouver) et un peu consentante aussi, en enjolivant le sujet que l'on aura choisi de défendre, de questionner, de mettre en avant. Le risque à ce sujet étant de finir par accorder un pouvoir trop autoritaire à ces constructions de l'esprit. Il faut que ces constructions de l'esprit restent bienveillantes, viennent accompagner ce qu'elles ont choisi de mettre en avant pour aussitôt s'effacer lorsque le moment sera opportun.

Nous sommes là pour accompagner, pour porter et non pas avoir à supporter (au sens péjoratif du terme). Nous cherchons à créer, à donner à voir en donnant du sens. Nous avons tout un tas de vocabulaire pour ça. Il convient juste d'employer le bon. Ne pas emprunter un vocabulaire complétement gratuit et surfait qui serait l'expression trop empreinte de prétention, de suffisance ou d'inconscience de son utilisateur ou créateur.

On doit pouvoir arriver à construire quelque chose qui fonctionne tout seul, dont on n'aura aucun mal à se déprendre et qui pourra coexister de manière égalitaire avec ce qu'il cherche à porter. Notre rôle n'est pas d'essayer de tromper, de berner les gens en créant du faux-rêve, en leur jetant de la poudre aux yeux pour leur faire espérer je ne sais quoi de façon inconsidérée ou créer de l'intérêt là où il n'y en a pas. Si nous intervenons c'est parce que c'est juste et justifié et que ça vaut la peine d'intervenir.

Je dis ça mais j'avoue que des fois les tentations sont grandes d'essayer d'arriver orgueilleusement à créer quelque chose qui soit étonnant, qui chercherait, peut-être un peu de façon coupable, à mettre plus en avant celui qui l'a produit que ce que cette chose pourra servir. De l'orgueil mal placé !

Tout ça pour dire que ce n'est pas une signature ou une patte dans une certaine mouvance que nous cherchons à proposer. On ne viendra pas à Bedous ou en vallée d'Aspe pour voir la sculpture imposante d'un tel ou la signalétique à la mode d'une autre. Ce serait débile et complétement ratée comme intervention. On y viendra parce que c'est un lieu que l'on ne trouvera nulle part ailleurs et parce qu'il possède cette histoire, cette richesse étonnante qui lui est propre et qui a toujours fait son identité, son essence.

En immersion
Pendant 4 jours, nous avons essayé de nous rapprocher un peu plus de ce lieu qui nous était totalement inconnu, en le parcourant, en l'observant, en le questionnant. Un rapport de proximité avec notre sujet s'est créé par nécessité, par curiosité, par envie de faire des rencontres et souhait de pouvoir échanger avec les habitants afin de porter une attention particulière et mieux apprécier ce qu'ils avaient à nous raconter.

Une première appréciation de notre lieu d'intervention s'est faite en prenant de la hauteur, pour voir, pour visualiser la situation de nos propres yeux et commencer à s'approprier ce nouvel espace. La randonnée qui nous a permis de nous élever nous a aussi fait entrevoir un peu la transhumance qui peut rythmer la vie des troupeaux et donc celle des bergers de la vallée. Et partout où nous posions notre regard, c'était des successions de tableaux gorgés de "pleinairisme" que nous avions à voir. Les sommets enneigés étaient lumineux à presque me brûler les yeux. De grandes bouffées d'oxygène dépaysantes !

La journée du lendemain a été mise à profit pour pénétrer un peu mieux les lieux, commencer à entrevoir les choses de l'intérieur. Mais avant cela il a bien été question de prendre un peu aussi nos marques et d'assumer notre présence en pique-niquant sur le fameux rond-point. Juste pour dire que nous étions bel et bien là. Par gentille provocation aussi mais surtout goûter la chose à fond. Une façon peut-être aussi d'empoigner l'objet du problème, de s'y confronter pour qu'il comprenne que nous n'avions pas peur de nous frotter à lui et que nous étions prêt à en découdre. Nous ne sommes pas monter pendant 2 heures la veille pour des clopinettes non plus ! Et c'est l'après-midi que nous nous sommes séparés en groupes pour mieux arpenter les petites rues et les différents sentiers plus ou moins praticables de Bedous. Un léger parfum d'Antoine de Maximy flottait dans l'aventure.

Le mardi après-midi, dernier jour de notre venue, nous avons pu visiter la ferme de Monsieur et Madame Miramond. Des gens incroyables, qui ont décidé à un moment de leur vie de quitter leur situation professionnelle respective d'alors pour se consacrer à l'élevage de vache et de brebis et développer une activité fromagère empreinte d'attention, consciencieuse, respectueuse et sereine. Un changement qui leur réussi plutôt bien puisque nous avons compris que leur nouvelle vocation leur apportait satisfaction et reconnaissance après dix années d'activité. Une jolie leçon de vie je trouve qui vient tordre le coup aux modèles de vie tout fait. C'est bel et bien de choix de vie dont il fut question…
Et c'est possible d'y arriver……………………………………………… ………… … …………

Une proposition d'intervention
De ces quelques jours d'imprégnation a émergé progressivement une proposition de signalétique non pas à Bedous mais dans toute la vallée. Les rencontres et différents dans les rues du bourg ont mis à jour un lieu complexe et dense fourmillant de richesses culturelles, linguistiques, historiques, géographiques et géologiques et que je n'ai pu qu'entr'apercevoir. De quoi se perdre, se disperser, ne plus trop savoir où donner de la tête.

Une des critiques qui avait été faite par l'accompagnateur de la vallée (dont il ne me reste que son prénom : Louis) sur les panneaux d'entrée des différentes communes était que chacune avait mis en avant des choses qui leur tenait à cœur au détriment d'une vision d'ensemble apte à rassembler toutes les communes.

Avec tous les renseignements glanés ça et là sur la vallée, il devenait de plus en plus difficile d'arriver à se concentrer sur une une seule commune en particulier au détriment d'une autre. Dans mon esprit, l'ensemble prenait progressivement le dessus sur la partie. Pourquoi travailler pour Bedous en particulier ?

N'ayant pas trouver de réponse satisfaisante, je l'ai mise de côté pour prendre la chose dans son ensemble. Pour moi, la vallée était présente avant ses habitants. C'est cet angle d'approche irréfutable et plus juste à mes yeux que j'ai préféré adopter.

Mon travail garde une constante, un élément unique : la vallée d'Aspe. Il lui est associée un élément variable qui fait sa richesse. Cela peut-être aussi bien un élément de sa faune, qu'une des particularités amenée par l'humain. Cette variable est esquissée sur le mode du croquis. Un dessin qui ne veut pas trop s'encombrer de détails est convoqué pour produire une lecture aussi simple que brève du panneau. Avec l'espoir qu'au fur et à mesure de leur découverte, les voyageurs se créent leur propre récit, leur propre narration avec. Des jeux de regards sont esquissés. Si une brebis se donne à voir de dos se n'est pas pour cette raison mais parce qu'elle nous invite à observer le paysage environnant. Suivez son regard !

Des pictogrammes routiers bien particulier et spécifiques au lieu (comme le symbole "point de vue" ou celui marquant le sentier de Saint Jacques de Compostelle) sont reproduits avec ce même type de dessin pour être mis au même niveau que leur versant plus figuratifs.

L'élément constant écrit en toute lettre joue sur le hors-cadre pour signifier l'immensité et la force du lieu. C'est aussi pour cela que le corps utilisé pour le composer sont importants. Il a été augmenté en jouant avec les limites de lisibilité. La qualité (qui est "vallée") de l'élément en corps important (qui est "Aspe") est signifiée aussi en toute lettre, dans un corps plus petit et un caractère moins étroit pour rappeler l'évidence.

Au même titre que "vallée" ne fonctionne pas sans "Aspe", les dessins ont besoin de cet élément de texte pour fonctionner car il s'y rapportent directement. Ce principe de fonctionnement essaie de créer une habitude à demi-prévisible. En effet si la mention "vallée d'Aspe" apparait systématiquement composée de la même manière d'un panneau à un autre, c'est pour se faire progressivement oublier et devenir suggérée implicitement lorsque le regard finira par se concentrer uniquement sur le dessin. Sa fragilité et sa discrétion se manifesteront alors pour rappeler au lecteur qu'il doit garder ses yeux grands ouverts. Afin de capter les aspects de cette vallée qui ne se donnent pas à voir facilement et qui demande d'être attentif.

S'imprégner, s'éparpiller, relever, rêver


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